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Réponse à : La honte

Ce billet est une réaction au billet de Zythom suivant : https://zythom.blogspot.fr/2016/12/la-honte.html

Zythom,

Peut-être liras-tu déjà beaucoup de réactions aujourd'hui, peut-être n'auras-tu pas l'occasion de me lire, je ne sais pas. En tout cas ce billet t'es adressé. Peut-être n'as-tu eu qu'une mauvaise passe un peu courte, aussi, et rien de ce que je dirai ne te parleras vraiment. Peut-être que, comme tu le dis, c'est juste une "petite déprime d'homme". Mais juste au cas où...

Mais au cas où, je souhaitais te raconter ce que je connais, ce que j'ai personnellement traversé. Nos histoires sont sans doute très différentes, et pourtant... Peut-être y verras-tu un écho, quelque chose qui te rassurera un peu. Et peut-être y trouveras-tu quelque chose d'utile. Et peut-être n'en as-tu pas besoin, et est-ce là juste mon occasion à moi de faire comme toi, de transmettre ce que j'ai vécu et ce que j'ai trouvé, pour que ça puisse servir à quelqu'un un jour.

J'ai passé dix années à ne plus savoir ce que c'était que le bonheur. J'ai passé dix ans à mentir à mon entourage quand on me demandait si j'étais heureux, même aux plus proches. Même à ma femme.

Je voulais retrouver le chemin seul vers une vie qui me convenait, mais je ne savais pas comment faire, je ne voulais pas dépendre des autres, et je ne trouvais pas la force de faire ce qu'il fallait. Et ironiquement, j'étais plus dépendant que jamais d'eux.

Et j'avais honte.

J'avais honte d'aller mal, moi qui avait tout pour être heureux, moi qui était marié à une femme aimante et présente, qui me soutenait, moi qui avait une famille à l'écoute et relativement proche, qui avait des amis très proches, présents et attentifs, moi qui avait une situation stable, des études supérieures réussies sans grande difficulté dans cette période, puis un métier passionnant, bien que parfois prenant, et une situation financière relativement enviable. J'avais honte de ne pas être la réussite que tout le monde voyait. J'avais honte de renvoyer cette image fausse, aussi.

J'avais honte de frôler la dépression, sans vouloir admettre que j'avais déjà plus qu'un pied dedans. J'avais honte de frôler le burnout aussi depuis un an à cause du travail, mais même ça, je ne voulais pas reconnaitre à quel point j'en étais proche.

Je ne vais pas rentrer dans des détails personnel, mais j'ai touché le fond en Juillet après quelques chocs importants. Le genre de claque dans la tronche qui te donne exactement ce qu'il faut pour repartir. Je ne le revivrais pour rien au monde, mais je reconnais au moins que ça m'a apporté ce qu'il fallait, et bien plus encore, même si c'était peut-être juste avec 10 ans de retard...

Mais voilà, la remontée de la pente, c'est une étape compliquée aussi. Les envies d'en finir, j'en ai eu quelques unes, mais pendant toutes ces années "difficile", les choses étaient diffuses, et ces pensées m'avaient un peu laissé tranquille.

Et cet été, j'avais l'entourage nécessaire pour me soutenir, avec enfin la mise à nue de mes problèmes à certains mes proches, prêts à beaucoup donner pour que je puisse m'en sortir. Et ça marchait déjà pas mal, dans l'ensemble.

Mais voilà, dans cette remontée, les envies ont trouvé à quelques occasion le moyen de remonter à la surface, tout comme les pleurs, les vagues de mélancolie. Peut-être est-ce parce que dans les phases de changement, on remue les choses, et même si l'essentiel qui en ressort est plutôt positif, les vagues ont toutes des creux.

Et n'ayons pas peur des mots : beaucoup des suicides ont lieux dans une période où la personne n'était plus au fond du trou, mais bien en train de remonter la pente...

Alors après un moment de grande mélancolie, un matin de Septembre dans la voiture (j'étais passager, hein...), j'ai fais comme toi : je suis allé regarder les symptômes de la dépression sur internet, j'ai regardé une description de ce qu'était la mélancolie. Et ça a frappé un peu trop près de moi pour que je ne me sente pas touché.

Je m'étais déjà posé la question : devrais-je consulter ? Devrais-je aller voir un psy ? Mais non, la réponse était toujours la même : je suis sur la bonne pente, donc pas besoin. J'avance. Je me reconstruis. Pour le meilleur. Le pire aussi ? Non non, il est passé. Ca ? Ce n'est qu'un "coup de mou", il n'est que passager. Il n'y a rien à craindre...

Ce matin-là dans la voiture, j'ai repensé à un livre que j'avais lu récemment, qui concernait la manipulation, mais qui allait bien au-delà, qui parlait de dépression, de reproduire involontairement de schémas dans l'éducation des enfants. Puis j'ai pensé à cet enfant que nous essayons d'avoir avec ma femme. Et j'ai pensé à mon état.

Quel père allais-je être ? Comment pourrais-je me regarder dans la glace si je ne fais pas tout ce qui est en mon pouvoir pour être en bonne santé mentale lors que j'aurai un enfant à élever ? Est-ce que je ne risquais pas de faire souffrir avant l'heure un être pour lequel je souhaite tout le bonheur du monde, si je n'étais moi-même pas complètement stable ?

Alors j'ai pris la décision d'aller voir un psy. Je ne voulais pas le faire pour moi, alors je l'ai fait pour un hypothétique enfant. Parce que j'avais honte d'admettre que j'en avais besoin. J'aurais pu aller demander conseil à mon médecin traitant, mais j'ai choisis d'en parler à chacune des personnes qui étaient déjà là pour me soutenir. M'engager auprès d'eux était ma manière de ne pas faire machine arrière ensuite. Et j'en ai parlé surtout à ceux que je connaissais qui avaient déjà consulté. J'ai récupéré ainsi le numéro de la psy d'une amie.

Et ensuite, j'ai mis une bonne semaine avant d'oser l'appeler. On m'a dit que c'était bien, que certains mettent plusieurs semaines avant d'y arriver, voir plus encore.

Qu'est-ce qu'allait m'apporter une inconnue, là où mes proches, tous de bons communicants, sincères, attentionnés, ne suffisaient pas ? Je ne saurais l'expliquer, mais ce que je sais, c'est que je l'ai trouvé tout de même. J'ai pu exprimer ce qui s'était petit à petit accumulé, j'ai pu retrouver confiance en moi, j'ai pu retrouver la force d'assumer mon état.

Je ne regrette pas ma décision. Moi, aujourd'hui, je n'ai plus honte d'avoir décidé d'aller voir un psy. Je refuse toujours de considérer que je suis "malade" parce que c'est pas une manière agréable de voir les choses, ni vraiment simple à assumer. Mais j'assume de dire que j'ai besoin de faire ça. J'ai même osé le dire à mes parents. Ces parents auxquels je n'ai jamais osé parler de mes croyances ou de ma sexualité. Et voilà que je leur dit que je consulte un psy. Et qu'ils ne me jugent pas, mais me soutiennent même.

Peut-être cela ne te parles-t-il pas du tout. Peut-être n'as-tu pas autant touché le fond que moi. Peut-être n'en as-tu pas du tout besoin. Ou encore peut-être n'as-tu pas les moyens de l'envisager, que ce soit pour des raisons d'argent, pour des raisons de temps, ou des raisons plus personnelles.

Mais voilà, à toute personne qui a vu le fond d'un peu trop près, et qui s'estime être "en train de remonter la pente" : ne perdez pas de vu que consulter quand on va mal, ce n'est pas une raison d'avoir honte, que c'est normal de vouloir faire "tout ce qu'il faut" pour aller mieux, que ce soit pour vous ou pour votre entourage, et qu'il n'y a pas nécessairement que quand on touche le fond que ça mérite d'être envisagé.

Zythom, merci pour ton partage, qui m'aura donné à moi aussi le coup de pouce nécessaire pour m'exprimer un peu à mon tour. J'aime ta conclusion, simple. "Je ne suis ni un héros, ni un zéro. Je fais de mon mieux. Et parfois, ce n'est pas terrible.". J'ajouterais juste qu'on n'est pas tenu à faire plus que cela.

Pour moi, 2016 aura été une année douloureuse, mais elle aura aussi été riche, forte et belle. Je te souhaites de le voir ainsi aussi. :)

Yosko